Un défi, pas un drame
En réalité, il faudrait parler des annonces du handicap, au pluriel. Parce qu’il est tout aussi difficile d’entendre l’annonce du handicap de son enfant qu’il est délicat de l’annoncer à la famille et aux amis proches.
L’annonce du handicap est une déflagration dans la vie d’un parent, elle met à rude épreuve vos certitudes et sens dessus dessous vos émotions. Nous sommes envahis par l’angoisse face à l’inconnu dans le meilleur des cas, face à des représentations négatives le plus souvent, ou tout à la fois. On comprend aisément l’importance d’un accompagnement par des professionnels capables de répondre à nos interrogations avec honnêteté et sensibilité. Pas la peine de nous projeter trop loin. On n’imagine pas à quel point cela peut être violent pour les parents d’un nouveau-né en situation de handicap d’être projetés dans ce qui éventuellement sera la vie adulte de leur bébé. On n’a pas besoin d’entendre parler de travail protégé ou de foyer pour adultes, mais plutôt d’être rassurés, encouragés et accompagnés par rapport aux problématiques immédiates. Et on a surtout besoin de temps pour digérer ce qui nous arrive et pour nous adapter à notre nouvelle réalité.
Dans notre cas, le diagnostic a été posé à la naissance. Je vais choquer peut-être beaucoup de monde, mais je suis soulagée de ne pas avoir eu à choisir.
Pour moi, le handicap a un visage, un visage que j’aime, et je ne peux pas imaginer ma vie ou ma famille sans lui.
En revanche, nous avons pu faire le choix d’être heureux avec et malgré le handicap. C’est un choix égoïste et généreux à la fois. Egoïste, car on pense à son propre bonheur, généreux car il implique inévitablement une part de renoncement. De toute façon, quand l’enfant est là, la seule question qui vaille est « comment ? », comment fait-on maintenant ? Oubliez la question « pourquoi moi ? », elle est inutile et mène à une impasse psychologique. Le handicap fait partie des choses imprévisibles qui arrivent dans la vie et devenir parent suppose d’accepter cette part d’imprévisibilité et d’inconnu qui échappe à notre contrôle.
Cela dit, je souhaite préciser que je suis pour le diagnostic prénatal et le choix des parents d’accueillir ou pas le handicap. Je déplore seulement que notre société consacre davantage d’énergie et d’argent à dépister qu’à améliorer les conditions d’accueil et de vie des personnes en situation de handicap et, par voie de conséquence, de leur entourage. Ce serait un choix plus rentable et judicieux à long terme, économiquement parlant, et plus juste en tant que société. Nous oublions trop souvent la fragilité de notre condition humaine. Le parcours des athlètes paralympiques nous le rappelle le temps des Jeux, mais on oublie aussitôt.
Mais c’est aussi difficile d’annoncer le handicap de son enfant.
J’ai eu la chance que Pablo soit né au Mexique. Je ne remercierai jamais assez nos amis de nous avoir apporté tant de soutien et surtout d’avoir célébré la naissance de Pablo avec la même joie et la même fierté que celle de sa sœur deux ans plus tôt. Je suis convaincue que le naturel avec lequel ils ont accueilli et embrassé le handicap de Pablo a changé notre regard sur lui. Leur confiance en nous, en l’avenir, en notre capacité à surmonter l’épreuve en tant que couple et à réussir en tant que famille était contagieuse, elle nous a permis d’entamer le processus d’acceptation. C’est comme changer la correction de vos lunettes, vous voyez les choses autrement.
Malheureusement, nous avons été confrontés aussi à des réactions moins positives. J’ai dû rappeler à des amis proches, très tristes pour moi, que je venais d’avoir un enfant avant tout, que j’étais heureuse et fière et qu’il fallait plutôt se réjouir pour moi. Je ne suis pas sûre de les avoir convaincus à l’époque. D’autres font carrément comme s’il n’y avait pas de bébé, tellement ils se sentent mal à l’aise, c’est horriblement blessant. Beaucoup vous trouvent courageux et éprouvent de la compassion pour vous. Je ne me considère pas à plaindre, au contraire, je trouve que ma vie est enviable à bien des égards. Tout est une question de perspective. Le handicap est un défi, certes, mais pas un drame en soi. Bien-sûr, chaque situation est différente et, malheureusement, certaines sont, en effet, dramatiques. Mais, en tant que parents d’une personne en situation de handicap, nous n’avons pas besoin de pitié ou de charité mais de justice et de considération, d’une véritable place dans la société pour nos enfants et de moyens pour mener à bien notre mission.